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Intro de Van à Une Histoire de conspirateurs annamites à Paris


PHAN VAN TRUONG fut de ceux qui, parmi les lettrés, ont planté les premiers jalons de ce qu'on appela à partir des années 1930 la « Révolution indochinoise », et qui n'en est pas moins curieusement une figure absente de l'histoire officielle du Viêt-nam.

Phan van Truong est né en 1878 au Tonkin, dans la province de Hà dông. Il est employé comme commis interprète à la résidence supérieure à Hanoi. Arrivé à Paris à la fin de 1908, ii est embauché comme répétiteur d'annamite à l'École des langues orientales et suit les cours de la faculté de droit. Il se lie avec le vieil exilé Phan châu Trinh, figure remarquable des opposants au régime colonial dans le premier quart du me siècle. Phan châu Trinh est un ancien mandarin, qui par dégoût de la corruption régnant à la cour de Huê, avait quitté ses fonctions en 1905. Il s'est attaqué au mandarinat corrompu et a réclamé sans relâche au protectorat français la liberté et le développement de l'enseignement pour sortir la population indigène de l'obscurantisme. La cour de Huê saisit le prétexte de la révolte des paysans de 1908 en Annam pour le condamner d'abord à mort, avec nombre d'autres lettrés. Puis, sur l'intervention de la Ligue des droits de l'homme, il est finalement déporté au bagne de Poulo Condore. En 1911, le pouvoir colonial l'exile en France. A Paris, il devient la bête noire du ministère des Colonies qu'il harcèle pour réclamer la libération de ses compagnons croupissant encore à Poulo Condore.

Phan van Truong se joint à lui en 1912 dans l'animation de la Fraternité, qui réunit des émigrés compatriotes, et il héberge Phan châu Trinh au n°6 de la villa des Gobelins, dans le XIIIe arrondissement. Le gouvernement français se venge en le faisant renvoyer de son emploi de répétiteur. Licencié en droit en 1912, Phan van Truong s'inscrit comme avocat.

Le gouvernement français finit par jeter en prison Phan châu Trinh et Phan van Truong en septembre 1914 sous l'inculpation de complot contre la sûreté de l'Etat. La Fraternité fut dissoute.

Libéré de prison en juillet 1915, en même temps que son compagnon, Phan van Truong est envoyé comme interprète à l'arsenal de Toulouse, ce qui le met en contact avec des coolies, des tirailleurs annamites « importés » en France pour trimer dans les usines de munitions ou être envoyés au front. Il y est sous surveillance permanente. En 1919, ii rédige le Mémorandum des revendications du peuple annamite, adressé à la Conférence de paix à Versailles, dont Nguyen ai Quôc - le futur Hô chi Minh - revendiquera la paternité.

Rentré au pays en 1924, Phan van Truong s'établit avocat à Saigon. Il appelle la jeunesse à se pencher sur le problème de l'éducation et de l'enseignement dans la nation annamite, en dénonçant la « superstition des diplômes » entretenue par le système d'obscurantisme colonial et en prônant le développement de la langue vernaculaire. En 1925, ii collabore au journal de Nguyên an Ninh, La Cloche fêlée, qui depuis 1923 affrontait ouvertement le pouvoir et la société coloniale. Il y publie en feuilleton Une histoire de conspirateurs annamites à Paris.

En 1926, quand Saigon est secoué par d'immenses manifestations populaires encouragées par Nguyên an Ninh, celui-ci est arrêté. L'agitation reprend de plus belle à cette nouvelle et à l'occasion des funérailles du vieux Phan châu Trinh, de retour au pays depuis 1925, après dix-sept ans de bagne et d'exil.

Phan van Truong remplace Nguyên an Ninh à La Cloche felée. Il y place en exergue la sentence de Mencius en chinois ainsi que sa traduction française : « Le peuple est tout, l'État a une importance secondaire, le prince n'est rien. » Il poursuit la publication en feuilleton du Manifeste communiste. Dans un pays où le prolétariat avait à peine vu le jour, voilà qu'étaient lancés les mots phares : socialisme, internationalisme, communisme, union des prolétaires... Mots parfois nébuleux pour ceux qui les adoptèrent, certes, mais porteurs de rêve. Si le nationalisme des autochtones répliquait à la domination coloniale, on entrevoyait déjà que, une fois l'indépendance acquise, le chemin pourrait s'ouvrir à une société solidaire où paysans, journaliers et ouvriers cesseraient de porter le poids accablant de la misère. Et le « spectre du communisme » commença à hanter la société coloniale.

La Cloche fêlée devient L'Annam. Phan van Truong élargit l'éventail des collaborateurs : de jeunes enthousiastes se sont engagés à ses côtés. La feuille disparaîtra en 1928 après la condamnation de Phan van Truong par le tribunal de Saigon à deux ans de prison pour « provocations de militaires à la désobéissance dans un but de propagande anarchiste ». Il regagne la France en la même année 1928 pour se défendre devant la Cour de cassation. Arrêté à Paris et jeté en prison, il n'est libéré qu'en 1930. Il meurt à Hanoi en 1933.

Malgré le temps, Une histoire de conspirateurs annamites à Paris conserve toute la fraîcheur et la vigueur d'une oeuvre de mémoire. L'auteur ne départit jamais de son humour même lorsqu'il s'attache à dépeindre les délicates façons de nos civilisateurs dans l'application de la doctrine célèbre de Jules Ferry « Les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures... » : « On dit que l'Annamite est renfermé et que son âme est impénétrable. Mais est-ce que la France, qui est le pays de la liberté des opinions, n'a jamais laissé les Annamites exposer librement leurs idées et leurs sentiments ? L'Annamite est fourbe et menteur, dit-on encore. Mais quand l'Annamite s'avise de dire la vérité, si elle est désagréable, on le bâillonne, on le persécute, on le brise en mille morceaux. L'Annamite, dit-on aussi, est obséquieux, rampant, vil. C'est possible. Mais quand il se permet d'être fier et de vouloir conserver sa dignité humaine, on crie à l'orgueil, à l'insolence, à la révolte, et on le persécute. Il faut dire, pour conclure, que le métier d'Annamite est bien un vilain métier. »

En son temps, cette histoire, dans le sillage de La Cloche fêlée, a secoué les esclaves de la colonisation comme une onde de choc électrique. Elle a été reçue comme un appel à la révolte, en leur enseignant que « l'homme doit moralement avoir pour principe de ne pas craindre d'autres hommes, advienne que pourra».



Ngo Van           


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