VIÊT-NAM, GRÈVE GÉNÉRALISÉE À SAIGON, LE 7.1.70
D'après les dépêches d'AFP reproduites dans "Le Monde" du 8 janvier, plus de 15.000 travailleurs de Saigon, Cholon et de Giadinh (banlieue nord de Saigon), "sur l'ordre de la CVT (Confédération Vietnamienne du Travail)", se sont mis en grève pendant vingt-quatre heures pour protester contre "les injustices sociales" et les récents licenciements. Le port de Saigon a été paralysé par le débrayage des dockers, et dans la ville, la grève s'est déclenchée parmi les travailleurs des magasins, des stations d'essence, les porteurs de riz de la ville chinoise de Cholon, les ouvriers des sucreries de Khanh-hôi (banlieue côté du port), et de plusieurs entreprises de produits chimiques et pharmaceutiques. "Ce mouvement est illégal, conclut la dépêche, mais jusqu'à maintenant les autorités n'ont pris aucune mesure particulière."
Un tel mouvement généralisé n'a eu d'antécédent qu'en 1964 (21 au 21 septembre), voir "ICO" n° 33. Sous un régime policier de guerre, embrigadés par des syndicats pro-gouvernementaux, les ouvriers ont lutté pour appuyer des revendications essentiellement économiques. Les mouvements reflètent une crise chronique dans une économie artificielle de guerre où le capital financier américain et son agent, la bourgeoisie vietnamienne (rapace, développée et enrichie par la guerre) pratiquent des formes d'exploitation datant de l'époque du colonialisme français. Il était de tradition que les travaux de chargement et de déchargement des bateaux soient confiés par les compagnies à des intermédiaires chargés du recrutement des dockers; ces intermédiaires, gens de sac et de corde, prélevaient la part du lion sur les salaires des dockers. Aussi chaque fois qu'ils immobilisaient les bateaux, les travailleurs du port réclamaient la suppression de ces intermédiaires. Nous ne savons pas ce qu'il en est advenu jusqu'à présent.
Rappelons que Ngo dinh Diem, mis au pouvoir en 1954 par les Américains, et inspiré par ses maîtres de la Maison Blanche, arbora en 1956 une Constitution qui reconnaissait aux ouvriers le droit syndical et de grève. Mais "le droit de grève n'est pas reconnu aux ouvriers travaillant dans les branches liées à la défense nationale, la sécurité publique ou les services nécessaires à la vie collective", mentionne une des lois fondamentales. Dans la législation du travail il est spécifié: "Celui qui participe à une grève ou la suscite dans une entreprise d'utilité publique... est passible d'une peine d'emprisonnement de 6 jours à 6 mois et d'amendes de 60 à 24.000 piastres". Inutile de dire que le régime policier de Diem manipulera le mouvement ouvrier autrement qu'en recourant à ces articles de la Constitution et du code du travail, quel que soit leur libéralisme à l'américaine ou leur consécration de la répression. La constitution n'a rien à voir avec la réalité du système. Le monde est gouverné par les forces du mensonge et de l'hypocrisie: les maîtres de tout acabit de notre temps jettent de la poudre aux yeux des exploités avec leurs Constitutions, leurs programmes de partis, et leur idéal nationaliste ou "socialiste", ou "communiste", autant de mots creux qui cachent la réalité du caractère d'exploitation et d'oppression des régimes qui les arborent.
La république du Sud Viêt-nam fait partie du "monde libre". Cependant le régime de Ngo dinh Diem, dans ses méthodes de répression, utilisait le contrôle, la délation mutuelle et l'assassinat, méthodes pratiquées dans le maquis viêt-minh stalinien: dans les villes, les "groupes interfamilles" étaient chargés de se surveiller mutuellement, de même que dans le maquis, les groupes de cinq familles étaient rendus coresponsables policièrement de l'activité de chacune. Nous reviendrons plus tard sur cette question.
Le parti gouvernemental, dirigé par le frère de Diem, Ngo dinh Nhu, Parti de la révolution personnaliste des travailleurs (Cân-lao nhân-vi cach-mang dang) faisait disparaître sans bruit, par ses "groupes d'action", comités d'assassinats connus aussi sous le nom de "brigades d'observation et de liaison", tout opposant ou suspect au régime. Il contrôlait ainsi, avec la police secrète, les syndicats créés sous Ngo dinh Diem: Confédération du travail, Confédération des travailleurs, FO, et faisait arrêter ou assassiner purement et simplement tout militant jugé dangereux.
Le paradoxe, c'est que les ouvriers, organisés légalement pour la première fois, ont, sous la pression de la crise économique chronique du pays, obligé les bureaucrates syndicaux à organiser des luttes pour défendre les salaires et les conditions de travail.
Dès le début du gouvernement anti-français de Diem, des grèves éclatent dans de nombreuses entreprises et plantations de caoutchouc françaises, et s'étendent aux entreprises américaines.
1955 Grèves partielles contre les licenciements et pour de meilleures conditions de travail chez Faci, Eiffel, Sticmm.
En novembre, grève de 7 jours parmi les 40 000 ouvriers des plantations de l'Est.
1956 En mars, grève de plus d'un mois de 9 000 ouvriers de la Cie d'Électricité de Saigon.
De juillet à novembre, grève de 600 ouvriers de la Svoc américaine.
1958 Grève de 24 heures de 800 ouvriers de la Cie de navigation aérienne, le 10 janvier.
Grève des ouvriers de l'usine d'électricité de Da-nang en juillet.
1959 Fin décembre, grève d'une semaine de 8 000 ouvriers des plantations de Xa Cat, Loc-ninh, Long-thành An-viên (29-12-59 6-1-60).
1960 Après le coup d'État des généraux contre Diem, grèves partielles à Saigon, Cholon, Giadinh: chez Caric, Bata, Shell, Svoc, dans les tissages, à l'usine électrique, aux autobus...
1961 Grève des ouvriers dans 9 plantations des provinces de Bieên-hào et Thu-dâu-môt, en janvier.
Débrayage de 200 employés de l'hôtel Continental contre les licenciements, le 1er février.
Grève d'une centaine de chauffeurs d'autobus.
En mars: Grève de 300 ouvriers de Stanvac réclamant une augmentation de salaire de 15%
Grève de 1 200 ouvriers des plantations de Thu-dâu-môt.
En septembre: Grève de 16 jours aux ateliers Stanvac, avec occupation.
1963 En novembre, Diê et renversé et 64 voit la recrudescence du mouvement ouvrier : Grève avec occupation d'usine dans les tissages Vinatexco et la teinturerie Vinatéfinco. Répression armée provoquant une grande agitation parmi les dockers, les chauffeurs d'autobus, les ouvriers des transports aériens, de la radio, des eaux, de l'électricité, des plantations, de la sucrerie Hiêp-hoà, etc....
En juillet, les ouvriers des textiles Intetexco occupent leur usine et les dockers de Saigon se mettent en grève pour que soit aboli le système des intermédiaires. En août, l'armée et la police sont envoyées contre les 1 800 ouvriers en grève des tissages Vimytex et, le 21 septembre 1964, la grève générale paralyse Saigon-Cholon-Giadinh.
Nouvelle recrudescence des grèves en 1965, dans les tissages, les transports, les rizeries, les arsenaux de la marine, la compagnie d'électricité, les ports du sud et du centre. Dans les provinces du sud-ouest, les ouvriers de l'aéroport de Cân-tho, ceux de la cimenterie de Hâtiên, se mettent en mouvement, tandis que les travailleurs des plantations dans tout le Sud Viêt-nam luttent pour des augmentations de salaires ainsi que contre les bombardements.
Depuis la chute de Diêm, et sous tous les régimes de dictature militaro-policière supplétifs de l'armée américaine qui lui ont succédé, les syndicats, on le voit, ont été obligés par leurs administrés d'organiser des grèves, des luttes essentiellement économiques. L'Association des travailleurs de libération, organisation Fln, fondée le 1er mai 1961, et rattachée à la Fsm, travaille en secret le mouvement syndical, et l'influence politiquement depuis des années. Dans les défilés du 1er mai organisés par les syndicats, les mots d'ordre du Viêtminh (dans la suite Fln), sont mis en avant : réforme agraire, aide aux bourgeois pour le développement de l'industrie nationale, réunification du pays. On lit dans la déclaration publiée par le syndicat Fln, le 1er mai 1962 :
"Pour s'assurer des forces capables de faire triompher la Révolution, les salariés sont résolus à s'unir avec le patronat (souligné par nous, N.D.L.R.) nous discuterons ensemble, nous ferons des concessions mutuelles, de manière à garantir les intérêts des deux parties et à concentrer nos forces, pour, ensemble avec le peuple entier lutter contre l'ennemi commun de la nation".
Est-il vrai que messieurs les bureaucrates du Fln, expriment la résolution des salariés, ou bien les trompent-ils au nom de la patrie, et afin de les enrégimenter un jour dans un régime de capitalisme d'État, frère de celui du nord et sous lequel ils prétendront gouverner et exploiter en leur nom comme ils prétendent aujourd'hui parler en leur nom ?
Voici les grandes promesses qu'ils font maintenant :
"Promulguer un code du travail; appliquer la journée de travail des 8 heures et instituer le régime des congés et des distractions. Fixer des salaires rationnels et un régime de primes pour favoriser l'augmentation du rendement (souligné par nous, N.D.L.R.). Améliorer les conditions de vie des ouvriers, des travailleurs, des fonctionnaires et des employés".
"Instituer un régime de rémunération adéquat en faveur des apprentis. Donner du travail aux ouvriers et aux citadins pauvres: œuvrer activement à la liquidation du chômage. Appliquer une politique d'assurances sociales pour veiller sur la santé des ouvriers, des travailleurs et fonctionnaires et leur venir en aide en cas de maladie, d'incapacité de travail ou de vieillesse et de retraite. Améliorer les conditions de vie dans les quartiers ouvriers. Régler les différends entre patrons et ouvriers par voie de négociation et la médiation de l'administration nationale et démocratique (souligné par nous, N.D.L.R.). Interdire formellement les peines corporelles aux ouvriers et aux travailleurs ainsi que les amendes retenues sur le salaire et les licenciements sans motif plausible (Le Fln symbole de l'indépendance, de la démocratie et de la paix au Viêt-nam, Hanoi 1967, pages 80-81)".
On n'évoque pas le droit de grève évidemment ! Pour que la patrie libérée prospère, retrousse tes manches !
Souvent le Fln a appelé les ouvriers à la grève générale, à l'insurrection, contre l'impérialisme américain et son appareil militaro-policier local. Dans la situation actuelle, les ouvriers sont soumis à l'exploitation des bourgeois vietnamiens et des financiers américains, suivant le mode semi-colonial. Dans le cas de l'avènement d'un État capitaliste préconisé par le Fln, avec ou sans étiquette socialiste, avec ou sans bourgeoisie vietnamienne, baptisé république démocratique populaire ou autrement, avènement auquel ils auraient contribué, les ouvriers auraient-ils droit, avec leurs nouveaux patrons dans la "patrie sauvée", dans la "nation indépendante", à autre chose qu'à une exploitation réformée ?
Si, conscients que dans cette "indépendance nationale", ils n'auront aucune indépendance et seront encore soit exploités par les bourgeois vietnamiens, soit réduits au rôle d'exécutants des ordres des bureaucrates, cadres du nouvel État, les ouvriers de Saigon tentent une lutte autonome pour leur propre émancipation, en même temps contre l'impérialisme américain et contre la bourgeoisie vietnamienne, en dehors des ordres du FNL, ils ne seront pas tolérés par ce dernier. Exactement comme en septembre 1945, lorsque le Viêtminh fit assassiner les ouvriers membres de la milice ouvrière des Tramways de Saigon qui tentèrent de se battre contre les troupes anglaises et françaises en refusant de se dissoudre et de lui remettre leurs armes.
GUERRE DES PAYSANS D'AUJOURD'HUI ET D'HIER
La lutte armée, au Viêt-nam depuis un quart de siècle, contre l'impérialisme, français puis américain, peut être considérée comme une guerre des paysans qui a abouti dans le Nord à la formation d'un État dit socialiste, où le capitalisme étatisé possède ses ministres et ses généraux, ses usines, sa police et ses prisons, et dans le maquis du Sud, à la formation par la bureaucratie du FNL d'un "gouvernement révolutionnaire provisoire" dont l'orientation reflète fidèlement la ligne du Parti des travailleurs, ex-parti communiste indochinois, parti gouvernemental du Nord.
Sous le nouveau régime "populaire" du Nord, les paysans ont vu disparaître leurs anciens exploiteurs directs, les propriétaires fonciers, et ont été intégrés, avec leurs lopins de terre héréditaires, ou acquis lors de la réforme agraire, dans des coopératives et des fermes d'État ; ils sont soumis aux ordres des cadres de l'État et du parti; le fruit de leur travail leur est en grande partie enlevé comme par le passé ; il nourrit la nouvelle classe exploiteuse et dominante, la bureaucratie du capitalisme d'État et, avec la plus-value extraite du prolétariat naissant, il constitue essentiellement le fond de l'accumulation primitive.
Dans les régions "libérées" du Sud, la réforme agraire du FNL consiste, d'après son programme, à :
- "confisquer les terres appartenant aux impérialistes américains et aux propriétaires fonciers sanguinaires et impénitents, agents des États-Unis, pour les distribuer aux paysans sans terre ou mal lotis ;
- "reconnaître et protéger le droit de propriété sur les terres distribuées aux paysans par la révolution ;
- "l'État négociera le rachat des terres avec les propriétaires fonciers dont les possessions dépassent une certaine superficie, compte tenu de la situation dans chaque région, pour les distribuer aux paysans sans terre ou mal lotis. Les paysans bénéficiaires de ces mesures seront dispensés de tout versement et ne seront liés par aucune condition, quelle qu'elle soit ; réaliser la réduction de la rente foncière là où les conditions ne sont pas encore réunies par la réforme agraire ;
- "mettre les terres des propriétaires fonciers absents à la disposition des paysans pour qu'ils les cultivent et jouissent du fruit de la récolte. Ce problème se verra donner ultérieurement une solution appropriée, compte tenu de l'attitude politique de chaque propriétaire foncier ;
- "admettre que les propriétaires fonciers offrent leurs terres à l'Association des paysans pour la libération ou à l'État. L'Association des paysans pour la libération et l'État distribueront ces terres aux paysans sans terres ou mal lotis ;
- "encourager les propriétaires des plantations des plantes industrielles ou d'arbres fruitiers à poursuivre l'exploitation ;
- "respecter le droit de propriété légitime sur les terres appartenant à l'Église, au clergé bouddhique au Saint-siège caodaïste et au Saint-siège Hoa-hao ;
- "redistribuer les terres communales d'une façon équitable et rationnelle ; assurer le droit de propriété légitime sur les terres défrichées aux personnes qui les ont mises en valeur". (de FNL, p. 77 s.)
Voilà en grande ligne ce que le nouvel État du maquis a promis aux paysans qui se battent et meurent sous ses bannières. Dans la situation de guerre actuelle, il est impossible de savoir comment et dans quelle mesure la réforme agraire décidée par les dirigeants du Front est appliquée, mais comment serait-il possible que les paysans bénéficiaires des distributions de terre soient dispensés de tout versement et ne soient liés par aucune condition (à l'État). Avec quel riz nourrit-on les troupes du maquis ? Qui paie les impôts et taxes pour alimenter le budget de guerre ?
Quel sort attend les paysans du Sud à l'issue de la guerre, qu'ils croient encore ou ne croient plus la leur ?
Vu le sort des paysans russes ou chinois, après la révolution de 1917, et de 1949, il n'y a pas d'illusions à se faire: les lendemains des masses souffrantes du Sud ne différeront pas, en l'absence d'une vraie révolution socialiste dans le monde, de ceux que connaissent les paysans du Nord.
Le passé vietnamien est jalonné d'insurrections paysannes qui parfois se transformèrent en véritables guerres, mouvements structurés : elles sont une constante de l'histoire du Viêt-nam féodal, provoquent des montées et des chutes dynastiques, sont parfois en rapport avec une occupation étrangère
Nous devons avoir présent à l'esprit le fait que le paysan vietnamien nous parlons des paysans pauvres qui constituent l'immense majorité de la population a vécu jusqu'au XXe siècle dans des conditions voisines de celles que leurs ancêtres ont connues à l'époque féodale.
Au XVe siècle, pressurés par leurs seigneurs féodaux en guerre permanente, les paysans subissent encore le pillage des troupes chinoises de Ming, venues occuper les pays. La situation est telle qu'un grand nombre d'entre eux, miséreux, devenus nomades, ainsi que des "braves" (brigands chevaleresques, aventuriers), conduits par un riche agriculteur, Lê Loi, de la province de Thanh-hao, se soulèvent contre les chinois en 1418.
Après 10 ans de guerre, les chinois se retirent et Lê Loi se proclame empereur. Il procède à une sorte de réforme agraire, distribue des terres et rizières communales aux mal lotis qui ont contribué à sa victoire, mais ne touche pas aux propriétés de l'aristocratie foncière. Le phénomène de concentration des terres se poursuit et, moins d'un siècle plus tard, éclatent coup sur coup de nouvelles insurrections paysannes.
Aujourd'hui, les nationalistes de tout poil, communistes staliniens compris, se réclament de ce Lê Loi comme d'un héros de l'indépendance nationale. La réalité, c'est que les paysans qui le suivaient pour sortir de la misère, se sont donné un nouveau maître, qui, une fois au pouvoir, a perpétué le régime d'exploitation féodale. L'indépendance nationale, dans ce cas, a signifié chasse gardée pour les féodaux du pays, de même qu'actuellement elle signifie chasse gardée pour la bourgeoisie nationale ou pour la bureaucratie du capitalisme d'État.
Entre 1510 et 1516, une dizaine de mouvements paysans insurrectionnels se produisent, soutenus par la mystique messianique traditionnelle, c'est-à-dire l'espoir de l'apparition d'un sauveur suprême. C'est ainsi que Trân Cao, l'un des chefs paysans, s'inspire des prophéties annonçant l'apparition à l'est des émanations impériales, et qu'il se proclame réincarnation de l'empereur mythique Thich. La dynastie Lê perd tout pouvoir réel : les seigneurs se battent pour le partage du pays, les Trinh l'emportent dans le Nord, les Nguyen dans le Sud. La paysannerie souffre. La chronique note l'apparition de "braves" qui pillent les riches et distribuent le butin aux pauvres. Tel Nguyên Huu Câu qui, dans le Nord, en 1743, se proclama "Grand Général de la région de l'Est, Gouverneur du royaume, Protecteur du peuple " et, grâce à la complicité populaire, échappa à la répression jusqu'en 1751.
Dans le Sud, sous les seigneurs Nguyen, les paysans ne souffrent pas moins du servage. En 1771, éclate la grande révolte des Tây-son (Montagnes de l'Ouest) près de Qui-nhon, conduite par les trois frères Nguyen Nhac, Nguyen Huê et Nguyên Lu. Nhac lui aussi fut un de ces "braves" distribuant aux pauvres les biens saisis chez les riches. C'est ainsi que les miséreux vinrent à lui, et qu'il mit sur pied une armée paysanne, qu'il s'empara de Qui-nhon et, à partir de cette citadelle, étendit la lutte dans tout le pays contre les féodaux, contre l'invasion des Siamois et des Chinois. La chronique ne relate pas de mesures sociales en faveur des paysans lorsqu'en 1778, Nguyên Nhac se proclama empereur du Centre et établit ses frères comme rois, l'un au Nord, l'autre au Sud. Cette dynastie des trois frères ne dura pas. Aidée par les Français, la famille seigneuriale Nguyên reconquit tout le pays et en 1806, Nguyen Anh se fit empereur, créant ainsi une nouvelle dynastie, celle qui aboutit à Bao Daï. Ce que les paysans ont gagné dans cette guerre de trente ans, c'est la suite et l'accentuation de leurs misères, l'accroissement des corvées et des impôts sous la dynastie nouvelle. Les témoignages abondent: "Tous les peuples sont dans la plus grande misère. Le roi accable le peuple de corvées et de travaux, sans les nourrir ni les payer. Il exige toutes les contributions et ne pardonne rien" (Chaigneau, 12-5-1808). "Les impôts sont extrêmement onéreux. Le roi, qui s'occupe à bâtir les nouvelles villes, accable le peuple de travaux... ici on reconstruit les murs de la ville royale. Les soldats travaillent aux murs et le peuple comble les étangs ; beaucoup d'hommes meurent par l'excès de fatigue ; le jour et une bonne partie de la nuit, on travaille ; le reste de la nuit on fait la sentinelle, et on souffre la pluie et le mauvais temps" (Eyot, 9-7-1804).
Durant la première moitié du XIXe siècle, les insurrections paysannes sont pour la plupart menées par les partisans du rétablissement de la dynastie des Lê. À partir de la colonisation française, jusqu'à l'aube du xxe siècle, elles sont dirigées contre le français par les lettrés partisans de l'intégrité du royaume et de la souveraineté et de la dynastie des Nguyen.
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Bibliographie : C. B. Maybon, Histoire moderne du pays d'Annam, Paris, 1919 ; Tran Trong Kim, Viêt-nam suluoc, Hanoi, 1928 ; Le FNL, Hanoi, 1967.
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