Exposé à la fête de "Lutte ouvrière"
26 mai 1996 Inédit
Pourquoi ce travail qui est le résultat de 10 ans de recherches dans les archives et bibliothèques et de 7 ans d'écriture ?
J'ai écrit cet ouvrage à la mémoire d'un certain nombre de révolutionnaires et amis qui avaient participé à la lutte contre l'impérialisme colonial. Les uns étaient des nationalistes luttant pour l'indépendance nationale, tandis que d'autres, plus radicaux, tendaient vers une révolution sociale, englobant l'indépendance et l'émancipation totale des couches exploitées. Ils succombèrent sous la répression impérialiste qui les a massacrés ou envoyés dans les prisons, les bagnes ou les camps, ceci jusqu'en 1945, ou bien par le pouvoir qui portait l'étiquette "communiste" le pouvoir fondé par Hô chi Minh et qui les a assassinés de 1945 à 1950.
L'histoire officielle de Hanoi, de la République dite socialiste, a éliminé leurs noms ou dénaturé la vérité lorsqu'elle avait besoin de parler d'eux, car ce sont des révolutionnaires qui critiquaient la bureaucratie dominante. Selon l'anticipation de George Orwell: "Ceux qui sont maîtres du présent, pourquoi ne seraient-ils pas maîtres du passé ?"
L'histoire épouse souvent le discours des vainqueurs. Sur le Viêt-nam, certains "historiens" français obnubilés par les fumées de la propagande de l'époque ont volé au secours de la victoire. Ce qui m'a obligé à écrire ce livre.
Je ne suis pas un historien, je ne suis qu'un simple témoin qui a participé à la lutte comme un homme du rang, et non un leader. C'est en tant que tel, que j'ai eu l'occasion d'avoir des relations avec des révolutionnaires, d'être à leurs côtés, de les fréquenter, par exemple Ho huu Tuong, Ta thu Thau, Nguyen an Ninh, Phan van Hum, Tran van Thach, Nguyen van Sô, Nguyen van Linh... C'est pourquoi je parle de leur vie en tant que chroniqueur. De leur vie qui a été tranchée par la répression, non seulement par l'impérialisme colonial, mais également par le pouvoir dit communiste de Hô chi Minh.
C'est la chronique des luttes ouvrières et paysannes contre le régime colonial, de l'origine nationaliste du PCI, de sa métamorphose en Parti-État, avant-garde de la nouvelle classe des accapareurs, la bureaucratie dominante actuelle au Viêt-nam.
C'est la chronique de l'Opposition de gauche indochinoise depuis sa naissance en 1930 à son adhésion comme section de la IVème Internationale en 1938, jusqu'à l'extermination presque complète de ses combattants en 1945-1950 par les sicaires d'Ho chi Minh. Pour mieux suivre cette chronique voici quelques aperçus d'une part, de la structure de la société vietnamienne, et ensuite de quelques "explosions" particulièrement déterminantes.
La structure de la société vietnamienne sous la domination coloniale.
La conquête coloniale a détruit une société féodale dont l'économie agraire était basée sur le mode de production dit asiatique, et a introduit le mode de production capitaliste, qui donne naissance à de nouvelles classes sociales, identiques à celles de la métropole, mais à caractéristiques différentes.
La paysannerie qui forme l'immense majorité de la population est exploitée par les propriétaires terriens.
Un prolétariat agricole s'est développé dans les rizières, les domaines accordés aux grandes compagnies, plantations de caoutchouc, et dans les domaines de la Mission catholique.
À côté, émerge un prolétariat industriel tout à fait nouveau, dans les mines, les grandes sociétés, travaux publics, électricité, distilleries, cimenterie, transports, durement exploité, n'ayant ni organisation, ni expérience politique.
Pour avoir une idée des conditions de vie et de travail proches du servage et de l'esclavage des paysans et des coolies dans les plantations et les mines, il faut lire les annexes... (Lu quelques extraits du rapport Delamarre)
La bourgeoisie européenne et chinoise remorque la bourgeoisie autochtone, et domestique une grande partie de la petite bourgeoisie dans l'appareil administratif et militaire.
La bourgeoisie autochtone et les propriétaires fonciers soutiennent le régime colonial, à qui ils doivent naissance et développement.
Les révolutionnaires anti-impérialistes à partir des années vingt sont, pour la plupart, issus de la classe moyenne cultivée.
Les explosions.
Les différents partis nationalistes formés et développés dans les années 1925-1930 cessent d'exister après l'insurrection des tirailleurs de Yen-bay (Nord Viêt-nam) fomentée par le Parti national du Viêt-nam en février 1930.
Le PCI prend la relève, déclenche et conduit le mouvement paysan-ouvrier à partir du 1er mai 1930.
Orienté par les stratèges de Moscou et de la 3e Internationale et leurs directives politiques dites de la "3e période", le mouvement revendicatif des paysans fut transformé en insurrection armée pour la prise du pouvoir.
Dans le Nord Annam, se forment les Soviets du Nghe Tinh fin 1930-début 1931.
Dans le Centre Annam, des postes militaires sont attaqués par des guérilleros.
Dans le Sud, la jacquerie naissante exécute des notables policiers.
Le mouvement fut noyé dans le sang, avec des milliers de tués.
D'où la naissance de l'Opposition de gauche trotskiste en 1930-1931, devenue section de la IVème Internationale en 1938.
Elle critique la politique du PCI de 1930-1931, qui est composé principalement d'intellectuels et de paysans, et de peu d'ouvriers.
Mais, en 1933, staliniens et trotskistes font un front unique dans le groupe La Lutte, pour combattre l'ennemi commun, pouvoir colonial, bourgeoisie indigène et propriétaires fonciers, pour la défense des ouvriers et paysans. Ils s'abstiennent de se critiquer mutuellement.
Mais :
En 1935 Après le Pacte Laval-Staline, les staliniens du Viêt-nam emboîtent le pas au PCF, ne parlent plus d'abattre l'impérialisme français, se taisent sur la lutte des classes.
En 1936-1937 Ils soutiennent le gouvernement du Front populaire, qui pourtant continue la politique coloniale de répression, que les trotskistes condamnent.
Sur ordre de Moscou, Gitton du Bureau colonial du PCF enjoint les staliniens vietnamiens de rompre avec les trotskistes. Les staliniens quittent La Lutte, et qualifient dans leur nouveau journal L'Avant-garde les trotskistes de "frères jumeaux du fascisme".
En 1938-1939 Le PC indochinois marche à l'ombre du drapeau tricolore français. Il soutient la politique du gouvernement colonial pour la défense de l'Indochine contre la menace japonaise, en soutenant le lancement d'un emprunt et le recrutement supplémentaire de tirailleurs annamites.
En 1940 Après le Pacte Hitler-Staline en '39, les staliniens ont fait volte-face: ils ne soutiennent plus le gouvernement colonial contre le Japon (qui occupe l'Indochine en 1940 en laissant l'administration coloniale française exister sous son contrôle jusqu'au 9 mars 1945) et déclenchent en novembre 1940, une insurrection paysanne en Cochinchine pour la prise du pouvoir.
L'insurrection fut noyée dans le sang. Il y aura des milliers de tués et de prisonniers et des centaines de condamnés à mort.
De 1940 à 1945 Ce fut l'absence de toute opposition contre l'administration française, sous la botte des Japonais.
De 1945 à 1950 L'assassinat des trotskistes par les sicaires de Hô chi Minh fut systématique.
Aux amis qui désirent savoir ce que je pense du régime actuel au Viêt-nam, je conseille de se reporter à l'épilogue du livre, Et aujourd'hui. J'ai pensé en effet, qu'un aperçu au moins rapide s'imposait des résultats de cette guerre de 30 ans, dite de libération. La victoire du parti de Hô chi Minh n'a apporté aux ouvriers et paysans vietnamiens qu'un changement de maîtres.
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