retour  retour à l'accueil
retour  retour aux articles

Le sort des paysans dans le Sud

pour Échanges 87, 1998     



Encore des terrains de golf

En février 1991 déjà, sous forme de joint-venture, le premier ministre Vo van Kiêt avait accordé à la firme taïwanaise Frank International Investment la concession de 350 hectares de forêt sur les 535 hectares de la réserve domaniale de Thu duc, au nord de Saigon pour y installer un terrain de golf de 36 trous et y bâtir un complexe touristique de classe internationale, malgré les protestations des paysans des lieux. Ils seront déplacés avec indemnités, leur a-t-on promis.

Or cette forêt constitue un vrai petit poumon pour Saigon, Thu duc et la campagne environnante. Sa destruction aggrave la pollution surtout à Saigon, agglomération tentaculaire dont l'atmosphère est déjà lourdement empoisonnée par les gaz mal brûlés de plus d'un million de motos japonaises, de tricycles et de cars, de centrales thermiques, de poussière des chantiers de construction et des routes en terre battue1.

En septembre 1992, à Dalat ­ la station climatique située à 250 kilomètres de Saigon ­ le grand lac Xuan Huong, un site classé, vit des bulldozers défoncer son bord pour y aménager encore un terrain de golf. Les investisseurs taïwanais se moquent des protestations des habitants, alertés par la fille même de feu Truong Chinh, ancien secrétaire général du PCV qui préside l'association des architectes de la ville2.

En 1975, après l'entrée des troupes du Nord dans Saigon, les potentats de Ha noi vont organiser le Sud Viet nam libéré des sanglants régimes de dictatures établies par les Américains, sur le modèle «socialiste» régissant le Nord depuis 1954.

Dès son installation à Saigon, le Parti-État soumet la population à un contrôle totalitaire, la regroupant en unités de foyers et de bouches (Hô khâu) qui doivent se surveiller mutuellement3. En même temps, commence la campagne de «réforme des gros capitalistes compradores, des bourgeois capitalistes ­chiên dich cai tao tu ban mai ban kêt xù». Il s'agissait de l'expropriation des rois du riz, des produits chimiques, de la ferraille dont la plupart sont chinois, de la collectivisation des biens de la bourgeoisie capitaliste, plus ou moins rudimentaires - villas, immeubles à louer, camions, autocars et embarcations à moteurs, usines de tissage et filature, ateliers de montage d'appareils de radio et de télévision, fabriques de savon, de cigarettes, d'ampoules électriques, de filtres à eau, de lait concentré, de nuoc mâm... On collectivise l'ensemble des activités commerciales, industrielles, artisanales développées pendant la guerre américaine et on en confie la gestion à des cadres venus pour la majorité du Nord. Appliquée ex abrupto par un certain Do Muoi, arrivé de Ha noi à la tête d'une équipe de militaires et de policiers du Công an, Sécurité publique, cette politique ­ au nom de code «politique X1», nous a confié un professeur de géologie de Hoc môn ­ fut source de népotisme, de corruption, d'exactions ou de simples accaparements, et plongera le pays pour deux décennies dans un chaos économique sans précédent. Le mémorable exode massif des Chinois résidents et la fuite vers l'océan des flots de boat-people ont marqué le début de cette époque.

Hommes de peine, ouvriers, paysans qui ne vivent que de leurs bras connaissent le plus grand dénuement. Le sigle XHCN Xa Hôi Chu Nghia, socialisme, on le lit Xâp hàng cå ngày: faire la queue toute la journée. Interminable file quotidienne aussi devant la poste de Saigon pour récupérer des colis de médicaments, vivres, vêtements envoyés aux familles par la diaspora d'Europe et d'Amérique, Ces colis sont rationnés et le nombre en est consigné sur un livret obligatoire.

La réforme agraire

La réforme agraire, cai tao tu sân nông thôn va décider du sort des paysans du Sud. «La terre à ceux qui la travaillent», le PCI l'avait promis dès sa fondation en 1930. Les terres et rizières nationalisées, confisquées aux propriétaires fonciers, ou saisies aux paysans riches, sont réparties entre les paysans pauvres et les sans-terre.

Mais les cadres du parti profitent de l'occasion pour s'emparer des meilleures terres ou en accaparer de grosses parcelles pour eux et pour les membres de leur famille. Ces accapareurs deviennent les nouveaux cuong hào (maîtres puissants) du monde rural.

Deux ans après, la collectivisation forcée commence. Par des pressions administratives, psychologiques, les cadres du Parti-État obligent les paysans à remettre leurs morceaux de terre, rizières, bétail, instruments aratoires aux coopératives et à participer à la production collective, tâp doàn sân xuât, comme salariés, selon la méthode inspirée des communes populaires de Chine. Le pouvoir décide que la collectivisation commencée en 1978 devrait être achevée à la fin de 1980 dans tout le Sud - Viêt nam.

Le paysan ne laboure ni ne sème plus sa propre terre, mais travaille sous les ordres des cadres qui commandent, contrôlent les coopératives agricoles. Cette nuée de bureaucrates parasites venus du Parti, des organisations de jeunesse, de femmes... et de l'administration du village, épuisent les caisses des coopératives, s'octroient la grande partie des produits du travail paysan.

Les paysans se révoltent. Le cheptel décimé en maints endroits, les paysannes tirent la charrue en place des buffles. La production du riz baisse dangereusement, la disette menace. Il est mis fin à cette politique en 1986-1987; les terres sont rendues aux paysans qui paient rente et taxe foncières. La terre appartient théoriquement à l'Etat qui accorde des baux prolongés et le droit de transfert aux héritiers.

En août 1988, plus de trois cents paysans du delta du Mékong sont venus manifester trois jours à Hô chi Minh-Ville - même, pour protester contre les exactions des nouveaux accapareurs contre les arrestations arbitraires et réclamer le droit de se retirer librement des coopératives et des collectifs de production.

Après les laboureurs, ce fut le tour d'une trentaine de pêcheurs en mer de la lointaine pointe de Cà mau (actuellement Thuân Hai) qui manifestèrent contre la collectivisation forcée. Une soixantaine de pêcheurs du village de Chi Công devaient remettre leurs barques de pêche à moteur à la coopérative et participer à la pêche collective. On réquisitionne les barques de ceux qui refusent. Certains des récalcitrants se voient jetés en prison et leur barque confisquée. Parmi eux on a même vu une dame, Truong thi Lai, qui pendant la guerre avait fourni du riz, du nuoc mâm, du poisson aux résistants; un pêcheur passa sept mois dans un camp à Phan Thiêt pour entrave à la collectivisation, etc... Des pêcheurs ont alerté Ha noi qui a envoyé des enquêteurs, mais dès leur départ, un des potentats locaux déclara aux pêcheurs: « Vous ne faites pas autre chose qu'un chat qui gratte le mur de torchis».Tout ceci a été rapporté par le Nhân Dân, le journal du parti du 1er octobre 1988.

_________________________________
1- Lao Dông HCM-ville 10 janvier 1993
2 - Le Monde diplomatique, avril 1993
3- Système déjà pratiqué sous le Premier Empire de Chine (221-206 av. J.-C.). La population par groupe de 10 ou de 5 foyers, doit se surveiller mutuellement et le cas échéant de dénoncer toute infraction à la police.

À suivre...          

retour  retour à l'accueil
retour  retour aux articles