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HÔ CHI MINH « dans la galerie des grands hommes »

La Quinzaine littéraire, N° 866, 1er décembre 2003         


Depuis trente ans, une vingtaine de biographies de Hô Chi Minh ont paru dans le monde, en vietnamien, français, anglais, chinois, qui s'ajoutent aux deux autobiographies de Hô Chi Minh en vietnamien, sous pseudonymes, l'une écrite en 1948, Trân Dân Tiên, Nhung mâu chuyên vê doi hoat dông cua Hô Chu tich, (Anecdotes sur l'activité du Président Hô) et une autre, parue en 1963 à Hanoi sous le titre T. Lan, Vua di duong vua kê chuyên, (Causeries chemin faisant), deux monuments auto hagiographiques.

PIERRE BROCHEUX
Hô Chi Minh, Du révolutionnaire à l'icône
Payot & Rivages Éd. 240 p. 21€

Encore un ouvrage consacré à l'intouchable « Vieux Père de la nation » ! Ne boudons pas notre intérêt et notre plaisir. Pierre Brocheux, spécialiste de l'histoire de l'Indochine nous livre une biographie passionnante de Hô Chi Minh, basée sur une somme impressionnante d'informations et documents inédits ou peu connus, qui retracent dans une perspective nouvelle le cheminement du personnage mythique à travers le siècle.

D'emblée, l'auteur nous avertit que ce n'est pas un plaidoyer pour Hô Chi Minh, qui aurait pâti de l'opprobre universel au même titre que son inspirateur Staline et son camarade et protecteur Mao Tsé-toung, les deux tyrans sanglants de l'Histoire. En effet, selon l'auteur, Hô, demeure foncièrement un humaniste confucianiste. Dès 1921, Hô malgré sa conversion au communisme, écrivit dans La Revue communiste que « le grand Confucius (551 av. J.-C.) préconisa l'internationale, prêcha l'égalité de fortune ». Sentant ses derniers jours venir, en 1965, Hô s'est consacré à un pèlerinage au Temple de Confucius à Gufu, dans le Shantung.

Cependant qu'en fut-il, quand Hô accéda au pouvoir en 1945, de ses adversaires politiques, y compris ceux qui partagèrent avec lui le combat commun contre la colonisation française ?

Pierre Brocheux relate qu'en juillet 1940, dans un rapport au Komintern, Hô écrivit : « À l'égard des trotskistes, il faut les exterminer au point de vue politique ». En septembre 1945, alors que Ta thu Thâu, le leader des trotskistes, rentrait de Hanoi à Saigon, il fut intercepté et fusillé par les partisans de Hô dans la province de Quang ngai. Interviewé à Paris en 1946 par Daniel Guérin sur cette exécution de Ta thu Thâu, Hô lui répondit : « Ce fut un grand patriote, et nous le pleurons. Mais tous ceux qui ne suivront pas la ligne tracée par moi seront brisés ». La première proposition pourrait provenir du lettré confucéen, la seconde évoque Staline. Le pouvoir ne laisse pas intacts ceux qui l'exercent. Tout révolutionnaire devenu homme de pouvoir n'agit-il pas en contre-révolutionnaire ?

Pierre Brocheux dénonce l'imposture des oligarques de Hanoi qui, après la mort de Hô Chi Minh, au lieu de répartir ses cendres dans les trois régions du pays, comme il l'avait recommandé dans son testament, l'ont embaumé puis enfermé dans un mausolée, monument macabre d'obscurantisme qui devait servir de socle à leur pouvoir. « Le culte de la personnalité est moins, ou ne l'est pas, le fait de l'intéressé mais de son entourage » dit l'auteur. Rappelons que Hô a précisé : « Mes compatriotes de chaque zone choisiront une colline pour enterrer les urnes. Sur ma tombe, pas de pierre tombale ni de statue mais une simple maison, vaste, ombragée, pour que mes visiteurs puissent s'y reposer... L'entretien de l'endroit pourra être confié à des personnes âgées ». Hô ne craignait pas, dans sa royale simplicité, de vouer au culte de ses reliques la vie finissante de quelques vieillards. À l'encontre du dogme officiel qui interdit les révélations sur les relations féminines du « Vieux Père de la nation », Pierre Brocheux a levé un coin de voile sur les liaisons amoureuses de Nguyên ai Quôc à Paris, à Canton et à Moscou dans les années 1920-1930, et celles du Président Hô Chi Minh - qui se prêtent à d'inquiétants on-dit -, dans les années 1950.

Un détail : En évoquant l'accusation portée par les trotskistes contre Trân van Giàu – alors président du gouvernement Viêtminh de Cochinchine en 1945 – de collusion avec le commissaire de la Sûreté française Duchêne, Pierre Brocheux la qualifie de gratuite. Pourtant Nguyên van Trân – un des chefs du Guépéou de Giàu –, a bien rapporté la rencontre de Giàu avec le commissaire Duchêne dans son livre Viêt cho me & Quôc hôi (p. 106) que l'auteur a cité plus d'une fois.

Nous ne pouvons suivre Pierre Brocheux lorsqu'il trouve en Hô Chi Minh « l'homme providentiel que chaque peuple attend ou appelle de ses vœux lorsqu'un pays est en crise ». Nous croyons plutôt ce qu'a écrit Hegel : Malheur au peuple qui a besoin de héros, quand nous observons la société sans joie et sans justice que Hô Chi Minh a fondée et dans laquelle la population connaît une nouvelle servitude.



Malgré ces réserves, nous ne saurions trop souligner l'importance documentaire de ce travail qui nous fait suivre pas à pas l'itinéraire de Nguyên ai Quôc, « du révolutionnaire à l'icône ». Le lecteur découvrira avec grand intérêt à travers cette biographie d'une écriture vivante et dense, une histoire du Viêtnam contemporain que cachaient les « vérités officielles ».

Ngo Van    
La Quinzaine littéraire, décembre 2003.    

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